Après notre première rencontre, Josué Rauscher m’a envoyé, en guise de remerciement, la photographie d’une vitre brisée qu’il a vue sur le trottoir en sortant de mon bureau. Le geste ténu d’un glaneur qui traduit avec justesse l’ensemble de sa démarche : une attirance pour des formes pauvres, souvent préexistantes, toujours contextualisées, qui nourrissent une conception sculpturale de l’assemblage et de la récup’ proche des pratiques vernaculaires issues du bricolage (en 2009, Un avion dans le jardin, par exemple, s’inspire du blog d’un type qui construit un coucou dans son garage). ◆ Josué Rauscher a vécu une drôle d’enfance. Il a grandi sur le terrain d’une porcherie désaffectée en zone périurbaine, élevé par une grand-mère entêtée qui accueillait, à la barbe des autorités municipales, les caravanes des manouches du coin et les familles des travailleurs immigrés du foyer d’hébergement d’à côté. J’aime bien l’anecdote. Il est tentant d’imaginer qu’une partie des préoccupations de l’artiste vient de là – de cet apprentissage de l’entraide, du système D et d’une architecture de bric et de broc. ◆ Plus tard, avant de se consacrer à sa propre pratique, Rauscher fonde en banlieue avignonnaise, dans une barre HLM promise à la destruction, un lieu de résidence et de diffusion artistique (« Entrée9 ») qui cohabite avec les populations démunies en attente de relogement. Mais la démarche n’a rien d’une posture socioculturelle. Disons plutôt que sa production est animée par des préoccupations formelles (on pense parfois à Manfred Pernice) qui portent la trace de leur contexte. Un art d’appropriation de deuxième génération qui réutilise des signes et des objets usagers pour leur donner une seconde vie. Dans eBay Minimalismus, par exemple, il récolte les photos d’étagères modernes soldées par les internautes. Le minimalisme cheap des meubles rappelle un certain dévoiement de l’idéal constructiviste au profit de l’industrie de masse. Cependant, les conventions spontanées (frontalité, espace neutre, meubles vides) des prises de vue effectuées par les revendeurs redonnent un peu d’aura sculpturale à ces formes corrompues. ◆ Rauscher s’intéresse aux stratégies de braconnage culturel élaborées par les consommateurs (La Fantaisie du carreleur, 2009-2010). Il évolue dans un univers instrumental clos, un ensemble d’outils et de matériaux hétéroclites dont la finalité participe d’un renouvellement du stock à partir des résidus de constructions ou de destructions antérieurs. Voilà qui explique son intérêt pour les fragments de moulages de statuaire antique et pour les socles abandonnés, qu’il pique dans les écoles d’art, qu’il empile, qu’il duplique. Une manière de construire des objets insignifiants, anti-héroïques, qui portent pourtant l’empreinte de leurs usages. Une sculpture de seconde main, en quelque sorte.

Gallien Déjean, mai 2011
Texte pour le catalogue du Salon de Montrouge.