Un sentiment d’archéologie.
 
(…) Face aux pièces de Josué Rauscher, on emprunte plusieurs lectures possibles et finalement une l’emporte. ◆ Une poétique politique est prégnante dans le travail de l’artiste. On récolte du regard des objets issus de l’abandon, on découvre ce qui demeure de leur nature ouvrieuse, révélée par la nudité. Disposés dans le silence de leur fusion, des vestiges de fonderie, de bâti, pierres angulaires de cheville ouvrière, sont les témoins d’une grandeur disparue, on entend dans le silence le fracas d’une chute précipitée. Les pièces sont disposées sans encombrement sentimental, ni solution émotionnelle. Une disposition objective, au gré d’un dispositif temporel, fonctionnel. Structurée. Le sol, l’horizontal est la stature neutre de la démonstration. La verticalité s’absente ou se fragilise. ◆ La symétrie, la duplication, la répétition, le nombre illimité de ces éléments évoquent l’anonyme. Ces pièces modestes, ont toutes des éléments de structure, de solidité. Leur tenue vainc sur la fonction ultime, culte de l’Unique auquel leur contribution était destinée. Socle impersonnel, interchangeable, renversé, largué, occupé par sa solitude. Solstice d’hiver, crépusculaire. On sent dans l’ancienne nature de puissance, la chute d’un funambule. Ces pièces humblement modestes sont ce que l‘on peut imaginer qu’il reste de Rester. ◆ Un itinéraire de rebuts, des pièces de moulage, des tiges de coulée, nourricières, que l’on destine d’ordinaire à la disparition, sont là objets témoins, l’art les réhabilite dans un nouvel usage, celui de témoigner. Une figure, imprimée, parcours circulaire, enchevêtré de lui-même... et un fin fil s’en échappe, à qui voudra l’attraper. Si l’on tire dessus, on fait des nœuds ou on libère ? ◆ Un fémur humain, d’un homme d’1,76m, la taille de l’artiste pour gabarit, ponctue l’installation. Unité de mesure, échelle humaine parmi des restes de stèles, de piédestaux, de socles étêtés, découronnés. Vestiges de démantèlement, d’enlèvement de statuaires, d’anciens imaginaires. Destitution symbolique de grandeur surnaturelle, d’une effusion surhumaine. Si l’idée du pouvoir peut s’apparenter à une prothèse, artificielle, l’humour de ce fémur, prophétique, ramène à l’échelle 1 le centre de gravité. ◆ On pense à une récolte archéologique, mais l’archéologie elle n’est pas enfouie dans l’œuvre, elle est actuelle. Elle ponctue la redite, le bégaiement, la répétition en temps réel. Ces pièces ont un présage d’anticipation, ce que l’acte de se souvenir et de rappeler garde en mémoire. Et d’illustrer, peut-être, que la motivation est à sa facilité circulaire, peu à l’audace de l’échappée ascensionnelle. ◆ S’invite délicatement ‘Melancholia’ d’Albrecht Dürer, la gravure d’une cosmogonie complexe et mystérieuse contenue dans l’espace-temps congru d’un petit atelier. Quelque chose de similaire dans l’inventaire des apprentissages, des outils, des acquis, leur espace, qui questionne le curieux paradoxe entre la Connaissance et l’usage qu’on en fait. Des objets silencieux, encore gris de leur sable à vert de moulage, inachevés d’imprimerie, désensevelis du silence des sédiments. Enumération sérielle d’une ironie, marque de fabrique humaine, disposée avec humour par l’artiste. La réplique de son fémur pour guide. (…)

Katia Jaeger, octobre 2013
http://inferno-magazine.com/2013/10/05/biennale-de-lyon-josue-rauscher-linventaire-a-moly-sabata/